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La grande faillite des élites de 2021
Ière partie: Pourquoi l'Empire romain a-t-il sombré ?

17 mars 2021

C’est comme ce jour de scirocco du 6 février de cette année, où nous nous sommes inexplicablement réveillés avec un mal-être général, le sentiment intime et physiologique qu’il se passait quelque chose. Après l’étonnement et l’incrédulité, des preuves indédiables comme la couleur inédite d’un ciel orange, nous avaient forcés à admettre l’évidence que les sens ne nous avaient pas trompés.

illustre.ch

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Ciel jaune en Suisse

Les terribles tempêtes de sable sahariennes s’achèvent parfois en douceur et poétiquement jusque sous nos latitudes. Le samedi 6 février, des trillions de grains de sable en suspension ont tamisé la lumière du soleil. Best of jaune.

De la même façon, il y a des points dans le temps long, où toute une société humaine prend soudain conscience de vivre un moment distinct d’autres moments: unique, désagréable, particulier. Une sorte de césure, une solution de continuité1.

La fin d’un monde: la Pax Americana

Evidemment, la crise du Covid-19 qui a démarré il y a presque tout juste un an, est un de ces moments d’effondrement sociétal. Le tableau kafkaïen d’une population se promenant dans les rues avec des masques, des gens qui ne se touchent jamais, des restaurants fermés, des entreprises en difficulté, l’augmentation du nombre de chômeurs, un mal-être sociétal profond et généralisé. Tout cela, comme le jour de scirocco, est l’indice qu’il se passe quelque chose de significatif.

Bien sûr, il y a eu à chaque époque des prophètes utopistes et quelques peu naïfs (dont Klaus Schwaab avec son Great Reset), qui veulent continuer de croire contre toute raison que la calamité est venue pour apporter le bien, et qu’elle est une épreuve qui amènera la résurgence et triomphe de leur monde.

Dans le monde de M. Schwaab, l’humanité aurait une destination nécessaire, un idéal où des grandes multinationales apporteront le bonheur à l’humanité. Ce serait donc à l’être humain de reconnaître cette nécessité et de se mettre en harmonie avec elle.

Les choses ne sont évidemment pas aussi simples. Il n’y a évidemment pas de téléologie de l’humanité: il n’y a pas de Providence, de nécessité ou de «  main invisible  » qui guiderait inexorablement l’humanité vers le triomphe de telle ou telle idéologie.

Le débat avait été résolu il y a longtemps, en philosophie des sciences: ce sont les causes du passé et du présent qui créent les effets dans le futur. Il n’existe pas de «  fins  » dans le futur qui exerceraient, par un quelconque effet mystique, un pouvoir d’attraction sur les évènements du présent, de telle façon qu’ils puissent aller dans leur direction.

Gott mit Uns! (Dieu avec Nous) On peut comprendre qu’un être humain animé d’une grande foi puisse rêver que la main de la Providence a déjà tout prédisposé, surtout quand il rêve de faire triompher sa cause politique ou idéologique, ou quand il délivre un pep talk à ses supporters. Mais cela reste une chimère.

De la même façon que l’aristocratie française n’arriva pas à restaurer l’Ancien Régime en France en restaurantla monarchie en 1815, on n’arrivera pas non plus à ressuciter «  l’ordre américain  ». né en 1945 au landemain de la Seconde Guerre mondiale. Car, au fond, tel est le rêve de Klaus Schwaab.

Le monde dont M. Schwaab rêve le retour est déjà un Atlantide en perdition. La suprématie de Etats-Unis, qui s’était matérialisée dans la fondation de l’Organisation des Nations Unies (ONU) en 1945, le Traité de Pacte Nord-Atlantique (OTAN) et le règne sans partage des multinationales cotées à New York (aux NYSE et NASDAQ) est aujourd’hui remise en question de toutes parts. Elle n’est pas morte, mais à l’article de la mort.

Un autre ordre, radicalement différent, s’apprête une fois de plus à remplacer l’ancien. Comme cela s’était produit en Juin 1944, quand les puissances européennes, exsangues et détruites par deux guerres mondiales, avaient courbé la tête devant Washington, et abandonné leur souveraineté absolue, et reconnu sa suzeraineté.

Washington fera de même, tôt, ou tard : elle tendra, elle aussi, le sceptre de sa souveraineté à une entité supérieure. Toutes les capitales d’empire l’ont fait un jour, avant elle. Et sa monnaie, cessera d’être l’étalon des échanges internationaux. Il n’y a pas de raison de penser (en tout cas à juger par le passé) que le cours de l’histoire humaine réserve un traitement de faveur aux Etats-Unis.

On n’a pas besoin de faire un dessin : à la fin de la Guerre froide, au début des années 1990, les armées américaines se sont retirées d’Europe. Avec la fin de la présence militaire, est venue une perte de «  l’indispensabilité  » des Etats-Unis pour l’Europe due à la fin de la menace soviétique: quand le continent n’a plus eu franchement besoin d’un général suprême américain pour le sauver des divisions blindées de l’Armée rouge, la donne a changé pour toujours.

Et la montée des tigres du Sud-Est asiatique: le Japon le premier, qui ébranla les convictions de l’industrie américaine; puis la Corée du Sud et Taiwan. Enfin la Chine continentale. D’abord, les sociétés cotées à New York se sont crues à l’abri, en déléguant la production et en gardant le contrôle financier. Aujourd’hui, elles s’avouent de plus en plus souvent vaincues.

Et la montée du lion européen, avec la fondation de l’Union européenne. C’est un lieu peureux, certes, comme dans le Magicien d’Oz2; mais c’est toute même un membre de la mégafaune, qui pèse plus lourd économiquement que les Etats-Unis, avec une industrie toujours florissante, et avec une monnaie qui pèse un poids à peu près comparable au dollar.

Regarder la décadence inexorable de la puissance américaine, année après année, décennie après décennie, c’est un sentiment de déjà vu: celle de l’Empire romain d’Orient à la fin du Moyen-Âge. Déceptions, décadence, pertes d’influence, déceptions, décadence.

C’est à chacun son tour, d’avoir sa petite minute de gloire dans le long cycle de l’histoire. On versera une larme pour les Etats-Unis et on admirera sincèrement leur grandeur, de la même façon qu’on admira les empires français, britanniques, allemand, russe, espagnol, portugais, vénitien, etc. au plus haut de leur gloire. Et comme les Chinois ont vu leur Empire vaciller et s’effondrer face aux puissancess occidentales et au Japon, entre le milieu du XIXe et du XXe siècle.

Sic transit gloria mundi (ainsi va la gloire du monde). C’est l’épilogue. À un moment donné, l’acteur de la politique internationale tire sa révérence et quitte la scène. Le rideau tombe. Ce n’est absolument pas la fin de théâtre mais c’est, inéquivocablement, la fin de la pièce.

Bien entendu, cela de sera probablement pas comme dans la scène du film Planète des Singes, où l’on découvrira la Statue de la Liberté de New York enfouie dans le sable…

Ce ne sera évidemment pas la fin de l’Amérique et des Américains. Celle-ci aura encore un rôle considérable à jouer dans le monde, sur les plans économiques, financiers et culturels. Mais ce sera la fin de la grande puissance mondiale des Etats-Unis. Les Etats-Unis seront comme la Russie d’après l’URSS: une simple puissance régionale, avec une grande histoire. Un acteur international d’un monde multipolaire, au milieu de tant d’autres; dont la voix comptera comme celle de n’importe quel autre. Et qui sait si comme la Chine, ils reprendront à nouveau la parole, dans un siècle ou deux?

La fin de la Ville de Rome : main de Dieu, ou faute des hommes ?

Le début du Vème siècle de notre ère fut un de ces moments de basculement. Saint Augustin (évêque d’Hippone, la place commerciale la plus active et prospère d’Afrique du nord) fut témoin de l’effondrement de Rome, qui avait été, dans l’imaginaire de toute une époque, la Cité par excellence, le nombril du monde.

Rome, "Le champ aux vaches" (le Forum), Claude Lorrain, 1636

Notons que ce n’est pas sa réalité qui s’effondra directement, car il mourut comme un Romain, dans une ville en état de siège, mais toujours sous administration romaine.

Ce qu’il voyait au quotidien, était un phénomène diffus, des nuages d’orage qui s’amoncelaient: une crise du marché de la ville, la fragilisation de la monnaie, les routes commerciales d’importation et d’exportation qui s’interrompaient à cause de conflits, l’incertitude politique, les nouvelles contradictoires, la perte de confiance du peuple dans ses autorités.

Et puis, bien sûr, il y eut la catastrophe de la prise et du pillage de Rome par les Vandales, en 410: une humiliation inouïe depuis huit-cent ans (huit-cent!) l’effondrement d’un monde.

Comprendre les échelles d’importance

Pour faire la comparaison avec Rome, rappelons qu’aujourd’hui, la seule capitale d’empire au monde qui n’est jamais tombée depuis aussi longtemps, est Londres3.

Et la dernière fois qu’une armée étrangère a défilé sous l’Arc de triomphe de l’Etoile à Paris au son de la fanfare, était en 1940, il y a à peine 80 ans.

Et qu’entre 800 et 80, il y a un facteur de dix.

Mais il s’agit là de l’évènement symbolique, mythique, et qui n’est certainement pas le plus important. Rome ne mourut pas de son sac de 410, loin de là; pas plus que Berlin ou Tokyo moururent de la dévastation de 1945.

Les guerres compromettent gravement la santé des civilisations humaines – et à ce titre, il faut les considérer comme des maladies de l’humanité.

L’Encyclopédie

«  La guerre est un fruit de la dépravation des hommes ; c’est une maladie convulsive & violente du corps politique, il n’est en santé, c’est-à-dire dans son état naturel que lorsqu’il jouit de la paix.  »4

Il en faudrait toutefois plus que cela, pour mettre toute une grande civilisation à genoux, de telle façon qu’elle ne s’en relève jamais, même après un siècle. La vraie cause est le plus souvent une grande catastrophe naturelle, comme un changement de climat (sécheresse, changement de température, etc.), l’épuisement des sols, un évènement tellurique (éruption volcanique, tremblement de terre). Et généralement, la combinaison avec des épidémies graves qui précèdent ou accompagnent ces désastres: peste, choléra ou fièvre typhoïde.

La vraie fin de Rome

Et dans le cas de Rome: la peste de Justinien de 541, combinée à la destruction des aqueducs.

Le manque d’eau potable conduisit à la sévère limitation de la population (l’être humain ne survit que trois jours sans eau), la fin du système des égouts, la mauvaise hygiène corporelle, la contamination de l’eau; et bien sûr, la propagation d’épidémies.

Clairement, c’est une combinaison de ces type de catastrophes humaines (guerre) et naturelles (maladie) qui eut finalement raison de la ville de Rome, dont la population passa graduellement de plus d’un million d’habitants à l’époque d’Auguste (dit-on) à quelques dizaines de milliers au plus au début du Moyen-Âge: une ville-fantôme.

franceculture.fr

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La peste à l'origine de la chute de Rome

Les épidémies ont profondément transformé le paysage géopolitique européen. Selon certains historiens qui s'intéressent à de nouvelles données scientifiques, les épidémies auraient même accéléré le désagrègement de l'Empire romain.

Les erreurs politiques et sociales

On ne parle bien entendu pas d’évènements de l’échelle de l’épidémie Covid-19 dont on se gardera bien d’affirmer que la gravité serait comparable au typhus, à la peste ou au choléra.

Avertissement légal

On laissera bien sûr les débats sur les statistiques de malades ou morts aux épidémiologistes et ceux sur les traitements ou vaccins aux autorités médicales.

Ces débats doivent être laissés à des médecins universitaires et autres personnes détenant une licence de l’Etat les habilitant à parler en public de ce sujet, à l’exclusion de tout autre membre de la profession médicale, et bien entendu des citoyens.

Toutes les époques ont connu une forme ou une autre de censure de la parole et des écrits.

La nôtre ne fait pas exception: nos Etats de droit admettent, voire encouragent la censure dans ce qui touche à la pratique de la médecine.

Cette censure est imposée avec une sévérité particulière en en cette période de pandémie, à la fois dans la presse et sur les réseaux sociaux.

Donc loin de moi l’idée de vouloir me mettre dans l’illégalité en exprimant publiquement des idées sur ce sujet interdit.

Il n’en reste pas moins que sur le long terme, les historiens peineront sans doute beaucoup à distinguer une incidence de l’épidémie des souches actuelles de Covid-19 sur la démographie de l’espèce humaine. Il sera donc important de conserver des données statistiques validées, afin de qu’ils puissent se mettre d’accord sur un récit consensuel.

Tout cela pour dire que le Covid-19, indépendamment du nombre effectif de victimes, n’aura pas mis en danger le cours de l’humanité sur le long terme; spécialement si on met cela en regard avec la question des défis liées à la pollution et à la destruction de l’environnement naturel, qui eux pourraient avoir des conséquences graves sur la démographie: notamment avec la montée des eaux dans les zones côtières, les désertifications, la pollution de l’eau potable, etc. (je parle ici d’histoire ou de prospective, non de médecine)

En revanche, ce qui pourrait être beaucoup plus grave, dans la gestion de la crise du Covid-19, serait les erreurs de politiques et sociales dans la gestion de la crise, liées en partie à un développement de l’incompétence des élites à gérer des crises.

Le but n’est pas ici de faire la liste de ces erreurs de gestion, ou de dresser un portrait de l’amateurisme administratif montré par certaines autorités politiques, spécialement en Europe occidentale. Ainsi que les violations contre la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1949, et la Charte des droits fondamentaux de l’UE de 2000.

Le délitement des élites serait le vrai sujet à traiter: notamment le divorce entre les gouvernements et le peuple, la crise quasiment catathonique qui s’est emparée de journaux comme Le Monde ou Le Temps (Suisse).

Il est hautement symbolique qu’on a vu ces deux titres descendre en quelques mois, dans l’estime du public, en dessous de concurrents comme France Soir, qui avait été naguère, le prototype du journal de boulevard, ou de réseux sociaux comme Facebook ou Twitter. Des équipes de «  professionnels  », stupéfaites, se sont trouvées dans l’incapacité de donner la réplique à quelques individus, comme le professeur Didier Raoult, ou Jean-Dominique Michel.

La question n’est pas de savoir qui a eu raison dans les débats qu’ils soulèvent, puisqu’il est largement interdit au public de s’exprimer à ce sujet; mais bien que la guerre conduite par des titres prestigieux de la presse pour défendre leur crédibilité face au public a été perdue, sans rémission. On note ainsi la descente aux enfers (ou la déchéance sociale) d’équipes journalistiques qui s’étaient longtemps considérées comme la crème de la profession.

Ce sera aussi l’occasion d’examiner d’autres précédents historiques (notamment de l’Empire romain), où les élites politiques et sociales se sont retrouvées isolées et discréditées et incapables de reprendre le dessus sur les évènements.

Et en ce qui les concernait, le manque de compétence à actionner correctement les leviers du pouvoir, avait été la vraie cause de leur perte.


  1. Solution de continuité:   » Pour ne pas être employée fautivement, cette locution doit être rapportée au sens étymologique du mot solution : séparation des parties, destruction, désagrégation, sens qu’a pris aujourd’hui le mot dissolution.  » Académie Francaise. http://www.academie-francaise.fr/solution-de-continuite 

  2. Ghervas, Stella. «  The Cowardly Lion in Quest of Peace  ». Re, edited by Yoeri Albrecht and Mathieu Segers, Amsterdam: Amsterdam University Press, 2016, pp. 87-98. https://doi.org/10.1515/9789048533084-006 

  3. C’est sans compter, bien entendu, les multiples aléas de la politique interne tels qu’assassinats, coups d’Etat, révolutions et changements de main de la capitale, qui font (dans une perspective à long terme) la «  vie quotidienne  » des empires. 

  4. L’Encyclopédie, article «  Paix  », https://artflsrv03.uchicago.edu/philologic4/encyclopedie1117/navigate/11/3709/